230 millisecondes. C’est le temps nécessaire à votre cerveau pour faire un choix. Aujourd’hui, que ce soit dans votre vie professionnelle ou personnelle, la prise de décision se doit d’être impartiale et non biaisée. Plus difficile à dire qu’à faire, lorsqu’on sait que notre choix peut être influencé par pas moins de 250 biais cognitifs. Alors comment faire confiance à son cerveau ?
Nous avons eu l’opportunité d’avoir le point de vue de Claire Stride, consultante formée en approche neurocognitive, comportementale et en neurosciences appliquées à la prise de décision. Experte en neurodiversité, Claire est aussi auteure et conférencière internationale sur le leadership et la neuroatypicité. Pour l’accompagner, Erik Campanini, entrepreneur en transformation digitale, Data et IA, nous donne aussi son point de vue sur la question.
Comment fonctionne notre cerveau lorsque nous prenons une décision ?
Selon Claire Stride, aujourd’hui pour prendre des décisions notre cerveau passe par un traitement inconscient en quatre temps :
- l’anticipation
- l’analyse
- la projection
- le choix
La prise de décision est aussi influencée par nos croyances, nos valeurs, nos peurs, nos émotions mais aussi par ce qu’on appelle des biais cognitifs.
La prise de décision influencée par les biais cognitifs
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
Les biais cognitifs sont une évolution du cerveau qui nous permet de nous adapter à notre environnement, de vivre en société et de nous préserver. C’est une façon que notre cerveau a de tordre la réalité, de la transformer afin qu’elle corresponde à nos valeurs, nos croyances ainsi qu’à nos besoins.
C’est une nouvelle grille de lecture pour le cerveau qui fausse la réalité afin que ce dernier soit rassuré. A ce jour, nous avons découvert près de 250 biais cognitifs qui influencent quotidiennement nos décisions, nous avons décidé de vous en présenter quelques-uns.
Les 4 exemples de biais cognitifs fréquents
L’effet de Halo :
Ce biais se résume au fait que la renommée d’une personne ou d’une marque lui donne à elle toute seule sa légitimité. Cette personne ou cette marque va donc influencer notre prise de décision car nous n’allons pas changer la première opinion que nous nous sommes faîtes de cette partie prenante.
Un exemple qui illustre la prise de décision biaisée par l’effet de Halo est l’achat de téléphone. Prenons l’exemple d’une personne désireuse d’acheter un nouveau smartphone : presque de manière automatique, elle aura en tête un smartphone de la marque Apple. Et ce, non pas parce qu’elle aura regardé les caractéristiques du téléphone, mais plutôt car elle sera influencée par la renommée de la marque.
Il en est de même avec l’achat de produit ou service mis en avant par les influenceurs. Le consommateur va être ébloui par la célébrité de l’influenceur, il ne va pas changer la première image qu’il s’est fait de ce dernier. Il va donc préférer acheter un article vendu par son influenceur favori plutôt qu’un article vendu par un autre marchand.
Vous pouvez retrouver ce même phénomène dans le cadre professionnel d’une décision managériale. Il se peut que vous soyez influencé par l’image que vous avez de cette collègue, brillante, qui a toujours réussi… L’effet de Halo de sa réputation professionnelle peut vous amener à prendre une décision que vous n’auriez pas pris si cela venait d’une autre personne.
L’aversion à la perte :
L’aversion à la perte est un biais cognitif qui s’appuie sur la crainte de changement d’habitude. Une personne sensible à ce biais changera son habitude uniquement si elle est convaincue que le résultat sera à minima trois fois mieux que ce qu’elle a déjà.
En tant que consultante, Claire Stride a déjà eu l’occasion d’observer des professionnels confrontés à ce biais, notamment en comptabilité. En effet certains employés comptables, très attachés à leur logiciel de prédilection, parfois même peu performant, ont souvent beaucoup de mal à migrer vers de nouvelles solutions plus efficaces. Ce blocage n’est pas tant causé par le fait qu’ils devront réapprendre l’utilisation d’une nouvelle solution mais il s’agit surtout du fait qu’ils devront modifier leur habitude.
Ce biais va donc venir nous freiner par rapport à la nouveauté, ce qui va donc impacter nos prises de décision.
Biais de représentativité :
Pour Claire, le biais de représentativité « représente le besoin de faire comme tout le monde, d’appartenir à la généralité, c’est la peur du jugement, d’être considéré comme différent. » Ainsi, on va globaliser et écarter les cas particuliers et mettre tout le monde dans le même panier. Ce biais va nous mener aux stéréotypes et aux clichés.
Pour illustrer ce biais, prenons l’exemple des développeurs informatiques. Dès que l’on va les imaginer on va se dire que ce sont des personnes représentées sous forme de geek à capuche devant leur écran dans le noir, capable d’hacker tout et n’importe quoi. Alors que la réalité est toute autre.
Une personne impactée par ce biais va être amenée à se baser sur l’existant et son expérience pour prendre des décisions. C’est en voulant toujours faire comme tout le monde et risquer la différence, que ses choix pourront être biaisés.
L’excès de confiance :
Ce biais consiste à surestimer ses capacités, se sentir plus intelligent et plus compétant qu’autrui. Les personnes affectées par ce biais cognitif ne sont pas arrogantes, elles surestiment uniquement leurs capacités. Elles se sentent en confiance quand une personne a besoin d’aide sur un sujet.
Ainsi dès qu’il faudra prendre une décision, une personne impactée par le biais de confiance aura tendance à moins analyser les risques et les conséquences. Et c’est bien le fait de ne pas anticiper qui va entraîner la mauvaise prise de décision.
La Data et de l’IA dans la prise de décision
Si nous ne pouvons pas faire confiance à notre cerveau, prendre une décision grâce à la Data et à l’IA, est-ce une bonne idée ?
Pouvons-nous faire confiance à l’intelligence artificielle et la data pour prendre des décisions ?
Comme nous avons pu le voir précédemment, dans le processus de prise de décision, notre choix peut être influencé par plusieurs centaines de biais cognitifs. On comprend alors qu’il est difficile de faire confiance à notre cerveau. La réflexion logique est alors de se demander s’il ne serait pas plus pertinent de se fier à la data et l’IA qui devraient être neutres par nature.
Chez LePont nous avons une approche éthique par rapport à ce sujet. Nous jugeons qu’il est important de savoir d’où provient la donnée, si cette dernière a été transformée, et si elle a été interprétée par l’IA, comment cette dernière a été programmée, entrainée et par qui ? L’Intelligence artificielle par construction est à ce jour soumise aux mêmes biais humains et nous devons être tout aussi exigeant dans nos prises de décisions assistées par l’ordinateur.
Pour aller plus loin sur l’IA :
Que faire alors pour prendre des bonnes décisions ?
Selon Erik Campanini expert en enseignement data, la solution réside dans la prudence, l’avis critique et l’échange. Plus il y a des humains, plus il y a d’échanges et de réflexions pour prendre les meilleures décisions.
Aujourd’hui face au volume incommensurable de données à traiter et cette volonté de toujours vouloir prendre des décisions rapidement, beaucoup de tâches sont amenées à être automatisées voir traitées par des IA. Tout ceci, dans le but que l’humain puisse réfléchir sur des sujets beaucoup plus compliqués.
Nos deux modes de pensées
En partant de ce postulat, le psychologue et économiste Daniel Khaneman a introduit « Système 1 / Système 2 » qu’il décrit comme nos deux modes de pensées.
Le système 1
Le système 1 est notre mode instinctif et émotionnel, c’est lorsqu’une décision est prise tel un réflex. Concernant ce point, M.Campanini souligne que les réseaux sociaux ont accentué fortement ce système.
En effet, tout d’abord par Twitter qui depuis toujours limite ces utilisateurs dans le nombre de caractères par publication. Et ensuite par les réactions (j’aime, partage, retweet) face aux posts que l’on retrouve sur tous les réseaux sociaux.
Le système 2
Le système 2 quant à lui, et notre mode plus lent, plus réfléchis et logique. Avant de prendre une décision, nous allons ici analyser et croiser les informations. Alors que les managers d’aujourd’hui sont enfermés dans une boucle les poussant à être très réactifs et à prendre des décisions rapidement, la société les amène à creuser dans leur retranchement et à actionner leur système 2.
Bref, dans l’incertitude, nous préférons nous tromper tout seuls, quitte à nous tromper plus souvent. Est-ce bien raisonnable ? - Olivier Sibony
Sortir de sa tour d’ivoire
Vous l’aurez compris, dans le processus de prise de décision, il est donc impossible de faire confiance à notre cerveau. Alors que l’on aurait tendance à se tourner vers la data pour appuyer nos décisions, nous avons découvert que cette dernière pouvait aussi être erronée.
Ainsi pour prendre de meilleures décisions, Erik Campanini nous invite à échanger et à ne pas rester dans sa tour d’ivoire.
Selon l’expert en data, « nous avons tous notre propre vision du monde et donc une carte du monde bien définie ». Lorsque nous prenons une décision celle-ci est déjà biaisée par notre vision du monde. Il faut alors « découvrir de nouvelles cartes, de nouvelles visions, de nouveaux points de vue et pour ce faire la seule solution est l’échange ». C’est en discutant avec différentes personnes que l’on pourra développer notre vision, notre carte et donc faire les meilleurs choix.
Au-delà, il est intéressant de se rappeler que chaque prise de décision s’appuie sur trois axes complémentaires : notre expérience qui n’éclaire (que) le chemin parcouru, notre intuition, et ce que nous révèle la data. S’appuyer sur ces trois axes est essentiel mais chacun de ses axes est “pollué” par des biais qui viennent influencer nos décisions… qu’on le veuille ou non ? En avoir conscience est déjà une manière de prendre des décisions plus éclairées.
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