Dans l’industrie cosmétique, l’exploitation de la data et de l’intelligence artificielle sont devenues des éléments clés pour optimiser l’expérience client et stimuler la croissance de l’e-commerce. Les marques de cosmétiques, se tournent de plus en plus vers ces technologies pour collecter et analyser les données des consommateurs, afin de personnaliser les offres, améliorer la pertinence des recommandations et créer des interactions plus significatives. Dans cette interview, nous explorons avec Charlotte Pats, Head of customer experience chez Kiko Milano, les impacts de la data et de l’IA dans le domaine de la cosmétique.
Peux-tu te présenter, nous dire qui es-tu et ce que tu fais au quotidien ?
Je suis en charge de l’Expérience Client chez KIKO MILANO. Je travaille essentiellement sur le projet de transformation de l’entreprise qui a pour objectif d’améliorer et de personnaliser au maximum l’expérience omni-canale d’un client chez KIKO. Cela fait de nombreuses années que je travaille dans le secteur Textile et Beauté sur des fonctions stratégiques et opérationnelles e-commerce et CRM.
L’impact de la data sur la personnalisation de l’expérience client en e-commerce :
Comment les données collectées peuvent-elles être utilisées pour personnaliser l’expérience d’achat en ligne ?
Il y a tout d’abord les données d’achat (sur des achats antérieurs) qui peuvent donner des indications précieuses. En effet, il est très fréquent que les clientes, une fois qu’elles ont trouvé le bon fond de teint, la bonne crème de jour ou le bon mascara ne veuillent pas en changer tout le temps. On est alors dans une logique de réassort pure et simple. À partir de ces éléments, les marques de cosmétiques peuvent aussi développer des mécanismes de cross-selling, par exemple proposer la crème de nuit de la même gamme que la crème de jour, de proposer un correcteur de la même teinte que le fond de teint. Cela passe soit par des contenus sur le site web, en magasin par des applis de clienteling ou au travers des campagnes marketing CRM ou social media.
Il y a aussi de plus en plus de données collectées sur le type de peau avec des applications dédiées ou des fonctionnalités du site soit par des moteurs d’intelligence artificielle qui analysent un selfie, soit même par de simples formulaires avec des questions posées, il est alors possible de proposer une routine de soin adaptée aux besoins de la cliente.
Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les entreprises lorsqu’elles tentent de tirer parti des données pour personnaliser l’expérience client ?
Le principal défi est la législation en matière de données personnelles. On ne peut pas si facilement demander à une cliente et stocker des données sur son type de peau, sa couleur de peau, son genre. Et la législation devient de plus en plus sévère en la matière. L’enjeu est donc l’accès à la Data, car de nombreuses de marques sont vendues au travers d’un réseau de distributeurs (comme Sephora, Marionnaud ou Nocibé) qui ne transmettent pas les données de leurs clients aux marques. Certaines marques comme KIKO, L’Occitane ou Yves Rocher ont fait le choix stratégique de privilégier le Retail et le “direct-to-customer » via leur site en propre (ou historiquement la vente par correspondance), ces acteurs disposent donc d’un avantage non négligeable.
Ensuite il y a un défi technique de taille. Même si cela paraît simple de proposer un produit complémentaire (crème de jour / nuit par exemple) il faut mettre en place des automatismes, développer des algorithmes pour faire apparaître ces recommandations sur les différents points de contact du client. Cela correspond à passer d’un Marketing de masse, très maîtrisé par l’ensemble des marques, à un marketing 1-to-1 plus balbutiant et complexe à opérer.
Peux-tu partager des exemples concrets de la manière dont Kiko Milano utilise les données pour offrir une expérience client personnalisée et améliorer les résultats commerciaux ?
Nous testons un principe de Smart mirrors en boutique qui permet à partir d’un selfie de faire une recommandation personnalisée sur une routine de soin. Cette expérience prend en compte des informations renseignées par la cliente sur ses préoccupations beauté. Une analyse très experte de la peau est aussi effectuée via ce miroir avec un scoring sur un grand nombre de critères et des variables exogènes, comme le lieu où la cliente se trouve car le taux d’humidité / de pollution de l’air a aussi un impact sur la peau et sur les produits à privilégier. Bien sûr, tout ceci n’est que le début…
Les tendances émergentes en matière de data et d’e-commerce dans le secteur de la cosmétique :
Existe-t-il des tendances récentes en matière de collecte, d’analyse et d’utilisation des données dans l’industrie cosmétique ?
Il existe de plus en plus de devices, d’appareils pour analyser la peau, sa fermeté, son taux d’hydratation, la profondeur des rides à la fois en boutique ou sur les sites e-commerce ou sur des applications dédiées. Car l’industrie cosmétique, notamment sur la partie soin, s’apparente à un processus proche du médical, à partir d’une analyse, on peut définir une prescription beauté avec un ensemble de produits pour améliorer la qualité de la peau. Un suivi est nécessaire pour savoir si la nouvelle routine apporte les bienfaits attendus… et elle peut évoluer en fonction de l’âge bien sûr mais aussi de la saison, des rythmes hormonaux. C’est une véritable expertise qu’on retrouve au niveau des marques. Certaines marques dermo-cosmétiques très expertes, niches sur des secteurs comme les engelures, sont mêmes directement conseillées par des médecins ou praticiens comme les podologues. Dans ce cas, c’est l’information transmise au prescripteur qui va permettre à la marque d’accéder à son client.
Comment ces tendances impactent-elles la manière dont les entreprises de cosmétiques interagissent avec leurs clients en ligne ?
Des sites très spécialisés ne donnent accès au catalogue produit qu’après avoir fait un diagnostic de peau, certains vont même jusqu’à proposer uniquement des produits faits sur-mesure. Un exemple intéressant est celui de Laboté, qui clairement pousse les internautes à procéder en premier à un diagnostic de peau. De grandes marques développent des solutions qui permettent à la cliente de produire son produit sur mesure comme l’appareil proposé par Yves Saint-Laurent. La marque ne vend plus un produit mais un appareil électronique permettant à la cliente de produire son rouge à lèvres chez elle.
Un autre exemple est un principe d’abonnement à des produits, notamment l’abonnement proposé par Clarins qui permet aux abonnées tous les 2 mois de recevoir une box beauté sur-mesure.
Dans un autre style, le gaming est de plus en plus utilisé comme moyen marketing pour capturer de la data client et gagner des échantillons permettant de générer le test et ensuite l’achat. D’ailleurs, la première Beauty Metavers Week a eu lieu le 12 juin avec de nombreuses marques, l’occasion de tester de manière ludique des produits et de participer à des Masterclasses ou de gagner des NFT de produits.
Quels sont les avantages compétitifs pour les marques de cosmétiques qui réussissent à exploiter efficacement les données dans leur stratégie e-commerce ?
L’avantage compétitif est évidemment le réachat. En matière de cosmétiques, beaucoup de femmes sont très zappeuses et en attente d’innovations.
Historiquement, elles sont souvent conseillées par des assistantes beauté de boutiques multi-marques qui favorisent plutôt la découverte plutôt que le réachat dans la même marque. La marque qui est capable de définir la routine adaptée pour une cliente et de créer une fidélité à long terme se crée évidemment un avantage concurrentiel. Et souvent, on est bien au-delà du pur e-commerce, il s’agit de développer des mécanismes omni-canaux complémentaires entre eux qui permettent de jouer sur les différents tableaux : la découverte, la sensorialité, le conseil, le confort et la facilité d’achat. C’est aussi pour cela que le e-commerce développe de la vente assistée (par vidéo consultation) ou le clienteling en boutique. Cela explique que les sites de e-commerce poussent aussi la réservation en ligne de soins en institut, c’est la complétude de l’expérience qui rend la cliente fidèle à une marque.
On passe à un modèle beaucoup plus ROIste avec la recherche de leads qualifiés et déjà engagés dans un processus d’achat.
- Charlotte Pats, Head of custumer experience chez Kiko Milano
Les défis et les opportunités de l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’e-commerce :
Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les entreprises lorsqu’elles cherchent à intégrer l’intelligence artificielle dans leur stratégie e-commerce ?
Le manque de connaissance des possibilités et la réglementation qui est liée. Il existe un important flou juridique autour de ChatGPT qui s’accompagne d’un risque sur la confidentialité des données, du non-respect de la propriété intellectuelle et des procédures de contrôle.
L’IA présente beaucoup d’avantages mais est aussi perçue comme une incertitude, notamment concernant la perte de maîtrise de l’expérience client (exemple : une I.A. qui gère le Service Client) ou la génération de contenu “générique” qui risque d’être assimilé à du “duplicate content” et donc pénalisé par les algorithmes de recherche.
Pour aller plus loin :
- AI Act : 6 questions sur la réglementation de l’intelligence artificielle
- Utiliser l’IA générative (ChatGPT) dans votre métier
Quels sont les domaines spécifiques de l’e-commerce où l’intelligence artificielle peut apporter des avantages significatifs ?
On a déjà parlé du diagnostic de peau qui est très lié au secteur Beauté mais plus généralement, l’IA présente pour le e-commerce de nombreuses opportunités. En matière de recherche de mots-clés sur le e-shop par exemple mais aussi via les live chat complètement ou partiellement automatisé, ou encore pour la génération de contenus à la fois textuelle ou visuelle. Le digital est de plus en plus consommateur de contenus et il faut que les entreprises soient de plus en plus rapides sans générer des sur-coûts trop importants.
Au-delà de l’I.A., les mécanismes de Machine Learning basés sur des algorithmes construits par des Data Scientist ont de beaux jours devant eux en matière de e-commerce. Ils permettront d’optimiser les cross-selling et l’upselling des clients via une segmentation et une personnalisation toujours plus fine.
L’autre secteur dans lequel la gestion de la Data, son interprétation et son activation vont jouer un rôle majeur est l’acquisition de trafic. Après une acquisition de trafic traditionnelle, un peu générique avec la création de bassins d’audience un peu larges, on passe à un modèle beaucoup plus ROIste avec la recherche de leads qualifiés et déjà engagés dans un processus d’achat.
Comment Kiko Milano et d’autres marques de cosmétiques utilisent-elles l’intelligence artificielle ?
Au-delà des exemples déjà cités comme le diagnostic de peau, la personnalisation etc… Il existe une fonction cruciale dans ces entreprises qui commencent à tester l’I.A. : Il s’agit de la R&D. C’est notamment le cas du parfumeur Givaudan qui a inauguré un moteur nommé Carto qui propose la meilleure composition possible des ingrédients. Des exemples pour faciliter la formulation mais aussi l’analyse des tests en matière de rendus et de compatibilité des composants. Et c’est ce type de facteur accélérateur du processus de développement produit qui peut créer un avantage compétitif très important.
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