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IA et futur du travail : collaboration réussie ou liaisons dangereuses ?

Métiers et secteurs

Régulation

Les nouvelles technologies, à commencer par les ordinateurs, font partie de notre environnement de travail depuis plus de 80 ans. Et elles ont toujours soulevé des inquiétudes, notamment sur leur potentiel à remplacer les êtres humains. Les questions que l’on se pose aujourd’hui sur l’IA et le futur du travail n’en sont finalement pas très éloignées. Mais force est de constater que les changements que nous observons sont à la fois plus profonds, et surtout plus rapides. 

Selon Marielza Oliveira, Directrice pour les partenariats et le suivi opérationnel à l’UNESCO, l’intelligence artificielle et les algorithmes affectent le travail de deux manières différentes. Elles impactent la sélection de ceux qui entrent dans le marché du travail (notamment via les technologies de recrutement). Mais elles ont aussi des conséquences bien réelles sur les données collectées sur les travailleurs et leur gestion. Faut-il pour autant craindre l’intelligence artificielle ? On enquête dans cet article !

Le futur du travail a déjà commencé

L’automatisation et l’IA : une double disruption pour les travailleurs

Le rapport 2020 sur le futur du travail du Forum Économique Mondial révélait déjà que l’automatisation, accélérée par le confinement et la récession provoquée par la pandémie de Covid-19, avait participé à la création d’une double perturbation pour les travailleurs. D’abord, l’adoption de ces nouvelles technologies a coûté 3,7 billions de dollars dans le monde. Mais la charge de travail a aussi chuté de près de 9 % au cours des 3 derniers mois de 2021 !

On assiste ainsi à une numérisation à marche forcée du monde du travail. 40 % des travailleurs se sont ainsi formés au numérique pendant la pandémie. 77 % d’entre eux se sentent aujourd’hui près à évoluer au sein de leur organisation, voire même à se réorienter.

La numérisation du travail : une chance ou une menace pour l’avenir ?

 

Bon gré mal gré, nous avons donc changé de manière indéniable la façon dont nous abordons le travail. Est-ce en partie parce que nous craignons que les robots alimentés par l’Intelligence Artificielle (IA) ne nous remplacent ?

En réalité, l’impact de l’IA et des algorithmes était déjà observable dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Que cela soit Netflix, Spotify, Tinder ou Uber… Nos vies sont déjà cadencées par des programmes intelligents !

Néanmoins, cet impact est aujourd’hui bien plus global et important. Pour 19 % des métiers, le nombre de tâches impactées par l’IA atteint désormais 50 %. Un rapport de la banque Goldman Sachs estime également à 300 millions le nombre d’emplois dans le monde que des systèmes d’IA seraient susceptibles de remplacer.

 

Comment l’IA impacte-t-elle le futur du travail ?

 

La manière et l’ampleur avec laquelle l’intelligence artificielle impacte le futur du travail est tentaculaire. On peut néanmoins mieux apprécier ses avantages et ses inconvénients en se concentrant sur 3 cas d’usage précis. 

1. Gestion des performances : l’IA est-elle le Big Brother des travailleurs ?

L’IA : Un outil de surveillance omniprésent dans la gestion des performances

Le suivi des performances et la productivité des travailleurs ont toujours été une branche particulièrement active des sciences du travail. On pense par exemple au Taylorisme et au Fordisme. Ces deux approches sont nées dans le monde industriel (et notamment automobiles) pour rendre les ouvriers toujours plus efficaces.

Risques associés à la sur-productivité alimentée par l’IA

L’IA porte cette logique à de nouveaux sommets. L’intelligence artificielle alimente en effet des technologies de surveillance et de gestion algorithmiques des travailleurs toujours plus poussées. Pour illustrer cette situation, on pense souvent au cas d’Amazon. Le géant américain a en effet mis en place un système de gestion des performances des plus de 1,3 million de personnes qui travaillent dans ses entrepôts. Ces derniers sont poussés à suivre un rythme effréné et à limiter au maximum leurs pauses.

Législation en réponse aux défis posés par l’utilisation de l’IA dans le monde du travail

Les risques de cette sur-productivité poussée par l’IA sont bien évidemment une hausse des accidents de travail et le burnout. Si les processus de prise de décision algorithmique n’impliquent pas d’intervention humaine ni de considération éthique, ces outils peuvent exposer les travailleurs à des risques et à un stress structurels. Ces derniers peuvent en effet avoir la sensation que les décisions qui sont prises en lien avec leur travail sont uniquement basées sur des données (parfois arbitraires) et qu’ils n’ont plus du tout voix au chapitre.

Pour limiter cet impact négatif de l’IA sur le futur du travail, la Californie a récemment adopté une loi. Elle garantit que les exigences de productivité des travailleurs ne menacent ni leur santé,  ni leur sécurité. Cette loi oblige également Amazon à partager à ses employés les quotas de production qu’ils sont censés respecter.

 

2. La généralisation de la Gig Economy (ou Économie à la tâche)

 

Un autre domaine dans lequel l’IA pèse de tout son poids est celui du travail à la demande. La Gig Economy repose en effet sur des applications ou plateformes (Uber, Upwork, etc) alimentées par des algorithmes d’intelligence artificielle.

 

IA et Gig Economy : Pilotage et surveillance des performances

 

Le travail peut aussi bien se faire en ligne que dans le monde physique. Mais dans les deux cas, la mise en relation entre les clients et les travailleurs, et parfois même leur niveau de rémunération, est complètement pilotée par l’IA. De bonnes performances (évaluées sur la notation du client, la rapidité de livraison, etc.) offrent des scores plus élevés. 

Là encore, la surveillance et le suivi des performances (sur des critères plus ou moins objectifs et justes) font partie intégrante de l’expérience quotidienne des travailleurs. Ces derniers sont tenus responsables des moindres aspects de leur travail, y compris les facteurs externes. On pense par exemple aux embouteillages ou à la météo qui impactent automatiquement les performances des livreurs… Même s’ils n’ont aucun contrôle sur ces derniers, ce sont eux qui sont pénalisés par l’algorithme.

 

Flexibilité du Travail et Impacts Socio-économiques

 

Les travailleurs sont en outre de plus en plus tributaires de la demande. On assiste donc à une flexibilisation extrême du futur du travail. Une évolution qui peut être perçue comme bénéfique du côté de l’employeur (qui limite ses coûts). Mais qui accélère aussi la précarisation des personnes actives…

Plus globalement, le travailleur est évalué et valorisé sur la quantification de la moindre de ses tâches. Seules les actions dans lesquelles il est en contact explicite avec son client ou son employeur (selon les configurations) sont payées. Les risques de sous-emploi et de sous-rémunération sont bien réels. Tout le travail préparatoire et le développement de compétences passent bien souvent à la trappe.

 

3. Le recrutement prédictif : des barrières à l’entrée du futur du travail ?

Impact de l’IA dans les Ressources Humaines

 

Selon Forbes, 84 % des chefs d’entreprise déclarent que l’intelligence artificielle les aidera à rester compétitifs et à développer un avantage sur le marché du travail. Et cet avantage commence très tôt, puisque l’IA est de plus en plus utilisée dans les ressources humaines… dès le recrutement. Elle sert notamment à automatiser et optimiser le processus de captation, notation et sélection des futurs talents qui sont amenés à rejoindre leur équipe. 

Là encore, l’impact de l’IA sur le futur du travail est loin d’être tout noir ou tout blanc. Pour l’entreprise, c’est l’assurance de trouver et recruter plus facilement des candidats de qualité. Elle réduit également le temps que les recruteurs passent à analyser les CVs et rend donc le processus d’embauche plus efficace, mais aussi moins coûteux.

Mais qu’en est-il pour les candidats ?

 

L’absence de biais cognitifs propres aux êtres humains peut être, en apparence, une bonne nouvelle pour ces derniers. Et notamment pour ceux qui, historiquement et pour une multitude de raisons, étaient discriminés à l’entrée du marché du travail. Mais la réalité est moins rose… 

Si l’IA se base sur des critères objectifs, elle est tributaire des données historiques et de la manière selon laquelle l’IA a été programmée et entraînée, qui sont elles-mêmes souvent biaisées. Des personnes déjà discriminées dans leurs précédentes expériences professionnelles ou même leur accès à l’éducation auront donc plus de chances d’être mal notées. Et donc de se voir refuser le poste à pourvoir. 

En termes d’applications de l’IA dans les RH, la SNCF donne l’exemple avec trois cas d’usages concrets. Revivez le webinar.

 

Réglementation et réponses législatives

 

Une fois de plus, l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) dans le monde du travail suscite un débat croissant sur la nécessité d’une réglementation adéquate. Alors que l’IA promet de révolutionner de nombreux aspects du travail, des questions d’éthique, de transparence et de responsabilité se posent.

En réponse à ces préoccupations, plusieurs initiatives réglementaires et législatives ont vu le jour ces dernières années. En 2019, la Commission européenne a publié ses « Lignes directrices pour l’éthique de l’intelligence artificielle », qui définissent des principes clés tels que le respect de l’autonomie humaine, la non-discrimination et la responsabilité. L’année suivante, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à un cadre juridique contraignant pour l’IA.

En France, le gouvernement a lancé en 2020 une stratégie nationale sur l’IA, qui inclut un volet sur l’IA et l’emploi. Cette stratégie vise à promouvoir un développement responsable de l’IA, en tenant compte des impacts potentiels sur le marché du travail. Le Conseil national du numérique a également publié un rapport en 2021 intitulé « L’intelligence artificielle et l’emploi : pour un dialogue constructif », qui propose des recommandations pour une utilisation responsable de l’IA dans le monde du travail.

Ces initiatives illustrent la prise de conscience croissante de la nécessité d’un cadre juridique pour l’IA. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à un consensus international sur les principes et les règles qui régiront le développement et l’utilisation de l’IA dans le monde du travail.

 

IA et futur du travail : faut-il s’en inquiéter ?

 

Comme sur de nombreux sujets clivants, l’IA a ses détracteurs et ses évangélistes. La clé (et la difficulté quand l’on se penche sur ce sujet) est donc d’essayer de prendre de la hauteur. Mais aussi de faire preuve de réalisme : l’IA va impacter durablement les entreprises, les emplois et les modes de travail. Les progrès indéniables qu’elle permet d’accomplir en matière de productivité et d’efficacité rendent peu probables son abandon complet par les entreprises. 

 

C’est d’autant plus essentiel que selon le baromètre mondial des risques réalisé chaque année par AXA, les risques liés à l’IA et au big data sont passés de la 5ème position en 2018 à la troisième position en 2023, derrière les risques climats et les risques Cyber.

 Comme le rappelle le think tank #Leplusimportant avec lequel LePont mène ses travaux de recherches, « si l’usage de l’IA par les employeurs est d’abord motivé par sa capacité à améliorer la productivité (Accenture annonce 40% de gains de productivité à l’échelle mondiale d’ici 2035 grâce à l’IA), elle peut présenter plusieurs avantages pour les travailleurs eux-mêmes. Elle a le potentiel de rendre leur activité plus productive et plus facile, moins soumise à l’arbitraire, et plus intéressante. Une étude menée auprès de 10 000 travailleurs montre ainsi une augmentation de la satisfaction au travail pour ceux qui utilisent des algorithmes dans leur travail. Plus spécifiquement, l’IA peut contribuer à ce que les travailleurs soient traités avec moins de biais et de discriminations et qu’ils soient traités de façon plus personnalisée par rapport à leurs besoins et aspirations.

Le management algorithmique ouvre à l’inverse aussi pour les travailleurs 4 principaux types de risques négatifs : (1) surveillance abusive, (2) discriminations, (3) perte d’autonomie et risques psycho-sociaux et (4) obsolescence de compétences et perte d’employabilité. »

Il est de fait essentiel de mettre en place les dispositifs dans les entreprises pour prévenir et remédier les risques d’IA au travail afin de trouver un véritable équilibre entre impact business, sociétal, social et environnemental de l’IA en entreprise.

C’est l’occasion pour la France et pour l’Europe de dessiner un nouvel modèle d’organisation et d’usages de l’IA, plus responsables.

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